Cabinets de conseil : leur pire danger....
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Cabinets de conseil : leur pire danger n’est peut-être pas celui que l’on voit..
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Selon Gilles Casanova, le recours massif des gouvernements à des cabinets de conseil, qui affaiblissent l'Etat et la démocratie sur l'autel du «néolibéralisme mondialiste autoritaire», est un enjeu de politique et de société majeur de notre époque. Ils vendent à prix d’or à l’Etat des prestations dont on imagine que des fonctionnaires sont tout à fait capables de les réaliser, puisqu’ils ont été formés, engagés, et qu’ils sont payés – beaucoup moins cher – pour cela. Gilles Casanova est éditorialiste français, consultant pour la stratégie, la prospective et la communication.
Il a été membre des cabinets ministériels de l’Intérieur et de la Justice. Ensuite gavés d’honoraires au titre d’études parfois inconsistantes, ils ne paient pas leurs impôts, font de la fraude fiscale et cachent leurs profits dans des paradis fiscaux. Enfin, on les soupçonne d’avoir organisé ou participé à des circuits de financement occultes des campagnes présidentielles d’un politicien qui les a installés en majesté au cœur de l’appareil administratif. Cela fait beaucoup pour des sociétés très riches, la plupart du temps à base américaine, et qui se présentent toujours aux côtés du Gotha de la finance mondiale et des organismes de pouvoir, du FMI à Davos. Mais peut-être le pire de leur action ne se situe-t-il pas là où le système médiatique veut bien nous le laisser entrevoir, mais dans un élément plus profond de leur présence au sommet de nos sociétés.
Un Etat toujours plus affaibli Ces grandes sociétés de conseil ne donnent pas des conseils anodins, à la manière dont «Marmiton» vous dirait comment faire des œufs brouillés. Ces organismes transnationaux agissent selon une philosophie, selon une orientation politique, selon une méthode, qui toutes sont directement liées à ce qu’est aujourd’hui le néolibéralisme mondialiste autoritaire. Se tourner vers eux, cela signifie avoir un conseil qui privilégiera toujours l’actionnaire sur l’intérêt de l’entreprise et l’investissement, qui privilégiera toujours la distribution de dividendes sur la juste rémunération du travail, qui choisira toujours le profit à court terme sur l’intérêt général et l’avenir. Ces cabinets de conseil ont été conçus pour répondre aux besoins des grandes entreprises dans une économie globalisée et dérégulée, dans laquelle ni la moralité, ni l’intérêt collectif, ni le respect de l’esprit des lois ne sont un élément pris en compte, à aucun instant. Lire aussi Affaire McKinsey : enquêtes sur le rôle des cabinets de conseil dans les campagnes présidentielles Mais l’Etat n’est pas une entreprise. Sa performance, n’a rien de commun avec celle d’une grande industrie.
Elle consiste à apporter aux citoyens une protection, un service, une présence, une capacité à décider collectivement de leur destin. Déjà en cela, se trouve la contradiction pour qui voudra faire appel à ces cabinets de conseil, qui n’ont pas été conçus en fonction de ce qu’est un Etat et de ce qu’il produit, c’est-à-dire un service pour ses citoyens et la collectivité, mais en fonction d’une entreprise dont le rôle est de générer du profit. Lorsque les autorités canadiennes ont confié à de tels cabinets quelque chose qui ressemblait à ce que la France a fait après 2007 dans la «Révision générale des politiques publiques» (RGPP) ceux-ci ont tranché, coupé, élagué, ont fait que tout ce qui était produit et qui fonctionnait a fonctionné avec moins de personnel, et donc cela a ravi sur le moment les autorités canadiennes.
Elles ont pensé qu’elles gagnaient beaucoup d’argent et qu’en amincissant l’Etat et les services qui le constituaient elles aidaient les citoyens en baissant l’impôt. Elles ont eu, d’ailleurs, les applaudissements du système médiatique puisqu’elles étaient tout à fait sur sa ligne politique. Mais ce que ces sociétés de conseil n’avaient pas vu, c’est qu’elles avaient étudié l’activité de l’Etat en le découpant en process précis, cadrés de manière industrielle, sans comprendre à quels besoins de fond de la population cela répondait.
Ce qui a abouti quelques temps plus tard à ce que les autorités canadiennes se rendent compte que leur Etat n’était plus capable de répondre à la demande et aux besoins des citoyens. Il savait faire de façon parfaitement normée, et moins coûteuse, un certain nombre de choses qui étaient inscrites dans les process qu’avaient analysé ces cabinets de conseil, mais l’Etat dans son rapport aux citoyens, dans son rapport à la société, n’est pas une addition de process industriels, économiques, financiers ou commerciaux. C’est autre chose. C’est un ensemble, c’est une fonction sociale centrale dans une société. Les autorités canadiennes ont donc été obligées de faire une campagne de recrutement massif de fonctionnaires qu’ils ont appelée «la Relève», en réalité, le remplacement des personnels qui avaient été éjectés par les consultants de ces sociétés de conseil et leurs méthodes d’approche de la réalité. Un déni de démocratie ?
Cela n’empêchera pas la France en 2007 de se lancer dans la fameuse RGPP avec les mêmes cabinets de conseil, avec en France un résultat un peu différent : partout où des services fonctionnaient bien, ces cabinets de conseil ont réussi à imposer de diminuer le nombre des personnels qui y étaient affectés, en revanche dès qu’un service fonctionnait mal – fut-il pléthorique – ces cabinets de conseil n’avaient plus la capacité de l’analyser ou de préconiser une quelconque réforme, tout cela s’est donc enlisé dans les sables mouvants de la « réforme de simplification à la française », après avoir affaibli une fois de plus l’Etat. Mais au-delà de ce problème de perspective lié à la nature de l’Etat, il y a l’orientation de fond sur l’avenir de la société, les choix fondamentaux que les citoyens ont le droit de faire à travers le dispositif démocratique que la Révolution française a instauré ici il y a plus de 200 ans et qui s’est étendu dans tout le monde démocratique. Le vote, les élections, les diverses consultations, notamment les référendums, sont faits pour que la société, collectivement, puisse maîtriser son destin à travers des choix structurants, engageant son avenir.
Lire aussi Affaire McKinsey : «Je ne crains rien», assure Emmanuel Macron à propos des enquêtes du PNF Mais pour ces cabinets, tout cela n’existe pas, c’est un hochet avec lequel on amuse le public, les choses sérieuses étant définies par «la seule politique possible», telle qu’elle est conçue dans des enceintes comme l’Organisation mondiale du commerce, Davos, Bilderberg, le FMI ou d’autres endroits du même type, où ne sont pris en compte que les intérêts et les perspectives des quelques centaines de milliardaires qui concentrent aujourd’hui la majorité de la fortune sur Terre. Ce qui signifie que quels que soient les choix opérés par les citoyens dans le cadre de la démocratie, ces cabinets veillent – dans le détail – à ce que ne soit mise en œuvre que la politique définie par les grands organismes transnationaux que la globalisation financière néolibérale a mis en place, par-dessus la tête des peuples et des systèmes démocratiques.
Le déni de la démocratie, c’est – bien sûr – de s’asseoir sur le référendum de 2005 qui refuse le Traité constitutionnel européen, pour signer un traité quasiment identique à Lisbonne, en le faisant voter rapidement par le Parlement réunis en congrès. Mais c’est tout autant de détruire, jour après jour, de détricoter tout ce qui a été le pacte social qui lie les composantes des sociétés européennes depuis la victoire sur le nazisme, et qui a été codifié en France par le programme du Conseil national de la Résistance. Comment faire reculer l’indemnisation du chômage et faire porter sur le chômeur la responsabilité du chômage, comment casser les retraites par répartition, comment casser la Sécurité sociale, comment privatiser progressivement le système d’éducation, comment conduire l’Etat à se retirer de plus en plus de la société pour que ses fonctions principales soient assurées à titre commercial par de grands organismes financiers, ce sont ces cabinets qui y travaillent chaque jour. Ne vous y trompez pas, ce sont eux qui conçoivent et écrivent les projets de loi du gouvernement.
Ils ne rendent jamais compte sur des plateaux de télévision ou dans des réunions électorales de leur programme, aucun candidat n’oserait proposer ce qu’ils conçoivent, car il saurait très bien qu’il serait rejeté par la société. Il est beaucoup plus simple d’avoir un candidat qui propose – comme Emmanuel Macron – de «penser printemps» ou de faire «la révolution», ou encore d’être le dernier rempart contre le fascisme d’Hitler en jupons dans une comédie médiatique, pour distraire le public à la manière des télévangélistes américains, comme façade. Puis derrière, construire le programme de destruction de ce qui est la spécificité française pour l’adapter à la volonté de tous ces organismes supranationaux que personne n’a jamais élus.
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